L’obligation de loyauté à l’épreuve de la maladie ! Felipe LLAMAS
« Le travail c’est la santé… » ! Le printemps arrivant, la jurisprudence nous inviterait presque à entonner la chansonnette d’Henri Salvador. Inspirés assurément par des références autrement sérieuses, les Hauts magistrats adoptent désormais une conception assez libérale de l’obligation de loyauté en autorisant les salariés à travailler pour un autre employeur alors même qu’ils se trouvent pourtant en arrêt maladie dans leur entreprise d’origine !
Titre : L’obligation de loyauté à l’épreuve de la maladie
« Le travail c’est la santé… » ! Le printemps arrivant, la jurisprudence nous inviterait presque à entonner la chansonnette d’Henri Salvador. Inspirés assurément par des références autrement sérieuses, les Hauts magistrats adoptent désormais une conception assez libérale de l’obligation de loyauté en autorisant les salariés à travailler pour un autre employeur alors même qu’ils se trouvent pourtant en arrêt maladie dans leur entreprise d’origine !
Un arrêt récent du Conseil d’Etat mérite de retenir l’attention du lecteur : ainsi, un chauffeur- livreur de la société Chronopost, titulaire par ailleurs d’un mandat de délégué syndical, est licencié pour faute pour manquement à son obligation de loyauté caractérisée, en l’espèce, par le fait d’avoir travaillé, pendant un arrêt de travail consécutif notamment à un accident du travail, en qualité de coursier auprès d’une autre entreprise, la société Labo Express (Conseil d’Etat, 4 février 2022, n°438412). Son licenciement avait pourtant été initialement autorisé par l’inspection du travail. Or, dans le cadre d’ un recours contentieux, l’autorisation de licenciement est annulée par le juge administratif, décision confirmée par la cour administrative d’appel de Paris. Dans son arrêt susvisé, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi de l’employeur, considérant que le salarié n’avait pas manqué à son obligation de loyauté, car les activités des deux employeurs n’étaient pas concurrentes et, de ce fait, insusceptibles de porter préjudice à l’employeur initial.
En retenant comme critère d’appréciation de la violation de l’obligation de loyauté, l’activité concurrentielle des entreprises concernées, le juge administratif adopte une conception purement économique de l’obligation de loyauté. Ce faisant, il rejoint celle adoptée auparavant par le juge judiciaire (voir: Cassation sociale, 5 juillet 2017, n° 16-15623). En effet, la Cour de cassation considère également que, pendant la suspension du contrat de travail ( en l’occurrence durant une période de congés payés), seule une activité exercée « pour le compte d’une société directement concurrente » est constitutive d’un manquement fautif à l’obligation de loyauté.
En appréciant la notion de loyauté sous un angle concurrentiel exclusif, la jurisprudence fait prévaloir, dans cette situation, une vision libérale qui n’est pas sans danger pour les acteurs professionnels. Or, la question suivante se pose immédiatement : est-il normal qu’un salarié puisse régulièrement poursuivre une activité professionnelle chez un autre employeur alors qu’il se trouve en arrêt de travail chez son employeur d’origine ? A cette question, la jurisprudence répond par l’affirmative, sauf si le salarié travaille au sein d’une entreprise directement concurrente. Dans cette situation, l’obligation de loyauté trouve sa seule limite en cas de concurrence déloyale.
Cette vision « concurrentielle » autorise donc un salarié à s’émanciper du cadre social collectif ( respect de la législation sociale en matière d’arrêt de travail) pour exercer une autre activité professionnelle chez un autre employeur, fût-ce pour des fonctions identiques, alors même qu’il bénéfice des avantages sociaux collectifs de son employeur d’origine ( prévoyance, mutuelle…). En outre, comme dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du Conseil d’Etat susvisé, cette faculté laissée au salarié de travailler ailleurs , en particulier pendant un arrêt de travail consécutif à un accident du travail, est particulièrement troublante : n’est-elle contraire à l’obligation de sécurité imposant à ce même salarié de prendre prioritairement soin de sa santé ( voir : article L.4122-1 code du travail) ? De plus, cette conception de l’obligation de loyauté autorisant un salarié à être malade chez l’un et à pouvoir régulièrement travailler chez l’autre, au même moment, n’est-elle pas contestable au regard d’impératifs sociétaux majeurs, parmi lesquels le droit à l’emploi ? Enfin, comment garantir une cohésion sociale au sein d’une entreprise si certains peuvent jouer une partition en solo, alors que leurs collègues assumeront le travail d’un malade néanmoins très actif de l’autre côté de la rue… ?
En conclusion, si « le travail c’est la santé », il aurait peut-être été plus sage de rappeler que , dans certaines circonstances : « Rien faire c’est la conserver » !
Felipe LLAMAS